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Récit de voyageAnnée 2008 |
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26 Octobre au 6 Novembre 2008
Tiakao Madagascar !!! Où est le bout du monde ? Faust Voici venir l’instant merveilleux où douillettement installé devant l’ordinateur je refais le voyage. Il n’est pas définitivement achevé tant qu’il n’est pas raconté sur le papier pour mes coéquipiers, mais aussi pour ceux qui sont restés au port. Par exemple, pour Daniel, pour Renée et les autres que les misères de la vie ont empêchés cette fois de se joindre à nous. Les tracas, nous allons les oublier pendant quelques précieuses journées. Ça y est ! J’ai dans la main le billet pour onze jours de parenthèse, d’inattendus, d’excitations, d’amitiés partagées. Commence alors un court métrage où chacun de nous sera l’acteur principal… Dès l’embarquement, curieux terme pour qualifier que nous allons monter dans un avion, une stryge furtive a tenté de se glisser parmi nous en prenant la place de Loïc. Végétarienne, elle a vite été démasquée. Mais c’était sans compter sur sa hargne (les stryges sont notoirement très teigneuses ) et à défaut de le remplacer, la vilaine fera taxer ses bagages, puis infamie suprême elle retiendra ses valises à Paris ! On saluera également l’astuce de Françoise qui a décidé de faire le voyage en fauteuil comme devant sa télé. Nous volons à présent vers Madagascar, ce superbe navire ancré dans l’Océan Indien à quelques encablures de l’Afrique ; image un peu bateau pour dire qu’il baigne dans plusieurs cultures. J’ai beaucoup vu et lu sur cette île mais je sais que je vais encore découvrir du neuf. Des bouts du monde il y en a beaucoup. Mais chaque bout du monde est une rareté ; un nouveau livre à ouvrir. La terre a disparu, elle est en dessous, en se penchant contre le hublot on la voit. C’est le Soudan ou l’Ethiopie… Quand nous dépassons Nairobi la nuit a gagné tout l’est du continent… On croise des mots, on croise des regards avides d’espaces et de visions nouvelles…Il est temps de dormir. Lundi 27 octobre La veille, à l’arrivée à Antananarivo, notre caravane s’est partagée en deux. Une moitié a directement gagné Le Triomphe tandis que l’autre rejoignait l’hôtel Tana Plaza, pour une brève nuit. Pendant tout le voyage nous serons répartis dans deux cars. Nos guides, Olivier et Jocelyne, s’intervertiront au fil du périple. Aujourd’hui nous nous rendons à l’orphelinat, à une dizaine de kilomètres sur la RN 2 qui relie la capitale à Toamasina, le grand port du pays. Sur le trajet un premier ravenala, l’arbre du voyageur, nous souhaite la bienvenue. Il est ici dans son pays d’origine. Les jacarandas fleuron végétal de la ville et les échoppes des petits commerces qui jalonnent le parcours, captent notre attention. Combien d’arbres verrons-nous, combien d’essences, combien de personnages ? Comme d’autres ne peuvent s’empêcher de photographier, je ne peux résister à l’envie de mettre en mots, en phrases bien que je sache que tout mon vocabulaire n’y suffira pas. Nous voici au Triomphe. Les petits sont là, ils attendaient l’événement. Et l’événement c’est nous ! Ils reconnaissent aussitôt ceux qui étaient déjà là il y a trois ans. Tout se passe comme s’ils nous avaient quittés hier. De véritables retrouvailles familiales, tellement spontanées qu’elles subliment l’instant. Ce moment était attendu ; il est devenu soudain bien réel et nous en ressentons encore aujourd’hui toute la chaleur. Ce sont embrassades sans retenue, pleurs discrets vite effacés par le sourire du bonheur. Ce trop plein d’amour qui les étouffait voilà qu’ils le déversent en sanglots. Les deux valises que chacun de nous a portées jusque là et qui paraissaient si encombrantes, sont maintenant comme en apesanteur. Voici Eliezera, Juliette, les assistantes. La tête et les jambes. Nouvelles étreintes. Que c’est bon de se sentir aimé ! Mais déjà un premier travail nous attend. Munis de bêchons nous gagnons les trous préparés pour les plantations d’arbres, sous l’œil vigilant de Loïc l’un des pères du projet. L’objectif premier est de faire prendre conscience aux enfants qu’il faut sauver les sols de l’île de la latérisation rampante et stérilisante. On forme plusieurs groupes. Nous partons avec le nôtre. Michael, un grand, file devant suivi de son équipe de petits planteurs. Je vois parmi eux Neny, Bidou et les autres qu’il va falloir en peu de temps apprendre à reconnaître et à choyer. Ils escaladent à toute vitesse la butte qui fait face aux bâtiments. Ils savent où ils doivent aller. Ils courent comme des lapins. Janine et moi avons du mal à les suivre… Ils s’arrêtent devant des trous creusés sous une pinède. Mais cet endroit ne convient pas pour les pêchers que nous devons installer. Je l’explique à Michael : - Il y a trop d’ombre, trop de racines. Alors il se dirige un peu en contrebas vers la rivière. Là, c’est plein sud, bien dégagé ; pas loin de l’eau. C’est idéal. Un peu de bouse de zébu bien décomposée au fond du trou, un peu de terre pour éviter aux racines le contact avec le fumier, on glisse le plant bien droit, bien orienté et on complète avec le reste de sol que l’on tasse. Un seau d’eau puisé dans la rivière et le tour est joué. On complète au stylo la plaquette qui fera de chacun de nos petits jardiniers le parrain ou la marraine d’un arbre et témoignera de cette inoubliable journée. On passe à un autre trou. Chaque enfant aura son arbre. Puis, c’est l’instant attendu de la distribution des cadeaux. Les yeux brillent d’impatience et les nôtres aussi car il y a beaucoup à recevoir quand on donne avec tendresse. Que les choses simples sont belles quand la complicité est partagée ! Ensuite, me revient en mémoire l’image des enfants gentiment serrés autour des tables dans la cantine et mangeant sans bruit avec un bel appétit. Le tableau tranche tellement par la sérénité qu’il dégage avec la tragique imbécillité de l’actualité que l’on en reste songeur. C’est déjà l’après-midi. Il est temps de défaire les valises et de faire un premier tri. Le tas de vêtements ne cesse d’augmenter. Il y a aussi celui des fournitures scolaires, celui de l’hygiène et de la santé. Les accompagnatrices et les maîtresses viennent en renfort. Toute la nuit elles poursuivront le tri et le rangement. Mais nous, devant ces amoncellements hétéroclites nous contemplons avec un énorme soulagement le fruit de nos efforts depuis la collecte jusqu’à cet aboutissement. Mardi 28 octobre Nous voici en route pour Marovoay. C’est la journée pique-nique avec les enfants. Il paraît qu’ils ont essayé les vêtements pendant une bonne partie de la nuit. Ils les portent déjà ce matin. Il y a de quoi être surpris par le véritable tour de passe-passe qui a été accompli par les aides et les maîtresses. Petits et grands se sont maintenant entassés dans deux taxis-brousse qui semblent à la limite de l’usure. La suite le confirmera. Rien cependant n’impressionnera leurs chauffeurs ; ni la fuite d’eau dans une côte à peine pentue, ni plus loin, la perte du pot d’échappement arraché sur un cassis de la piste. A côté, nos bus nous paraissent luxueux. Quant à Mado, elle prend ses précautions contre le mal au cœur en glissant un cachet d’aspirine dans son joli nombril. (Une mauvaise langue a dit que c’est un remède de vieille femme ; ce n’est pas vrai). Les collines alternent avec des bas-fonds cultivés en riz, manioc, taro, haricot, sisal. Il y a aussi des briqueteries. La route suit la ligne de chemin de fer qui suit elle-même la rivière Mangoro. C’est un charmant cours d’eau entrecoupé de chutes et bordé par une riche végétation. Une fois le col franchi nous redescendons vers la plaine qui s’étend vers Moramanga. Les bus s’engagent sur une piste qui permet de rejoindre le domaine de Marovoay car plus loin la RN 2 est coupée à cause de ponts défectueux. Cette zone a été reboisée en pins et Olivier dont les explications regorgent d’humour affirme avec malice qu’il s’agit de pins Sans(a) ! Nous demanderons à Loïc qui est dans l’autre bus s’il connaît cette espèce. Après une heure de piste et d’une plaine qui rappelle un peu la Pampa, nous parvenons au domaine où nous sommes accueillis par une nuée d’insectes inconnus. Heureusement ils ne piquent pas. Mais il règne une chaleur si torride que cela procure à Jeannette des songes et des délires érotiques dont elle régale la cantonade. Nous ne sommes cependant pas là pour l’écouter car c’est ici qu’à lieu la seconde opération « plantation ». Il s’agit cette fois de palmiers dattiers issus d’in vitro, soigneusement choyés par Rolande, Alain et Daniel. Il y a des plants femelles et des plants mâles qu’ils convient de disposer de manière adéquate pour faciliter les fécondations quand ils seront en âge de produire des dattes. Serge, le forestier de service s’active avec l’armée d’arboriculteurs en herbe. La technique est là ; il ne reste plus qu’à attendre quelques dizaines d’années pour apprécier le résultat. Marovoay a beaucoup changé depuis notre dernier passage. Un petit hameau s’est créé avec des maisons en dur. Voilà qui est encourageant. Après le travail, c’est le moment du pique-nique. On descend les ustensiles et la nourriture de la galerie des taxis-brousse. Juliette s’active à la préparation. Puis, tout notre petit monde s’installe en bon ordre. La discipline est ici synonyme d’organisation et d’efficacité. Les enfants en ont conscience car en peu de temps tout se met sagement en place. Ils savent que le repas constitue quelque chose d’essentiel et qu’ils ont la chance de ne pas en être privés. Encore quelques caresses et quelques espiègleries avant de se dire au revoir. Nous devons en effet les quitter pour reprendre la route vers Andasibe. Nous nous retrouverons au « Triomphe » le dernier jour de notre séjour lors de la grande fête. A Moramanga où nous avons retrouvé la RN 2, nous passons devant le monument qui commémore l’insurrection de 1947. Maintenant c’est un bourg tranquille avec son marché aux gargotes colorées. Il est difficile d’imaginer que tant d’évènements tragiques s’y sont déroulés. Nous arrivons à la nuit au complexe hôtelier de Feon’ny Ala qui jouxte la réserve d’Analamazaotra que nous visiterons demain. Mercredi 29 octobre Nous avons dormi dans de plaisants bungalows en pleine forêt tropicale humide. La densité végétale a été préservée pour le plus grand bonheur des indris. Imaginons l’île aux confins de l’humanité riche d’originalités, de sa végétation et de sa faune. C’est un infime aperçu qui nous est offert là et pourtant il est déjà très séduisant. A l’aube, les indris nous ont réveillés par des cris puissants et modulés qui ressemblent davantage à des chants tant ils sont harmonieux. La forêt en résonne tout entière et nous transporte dans un milieu inconnu. Accompagné par un guide du parc nous progressons sur des sentiers détrempés, ruisselants, enfonçant nos pas dans un humus profond et collant. Au mouillé du sol se mêlent mille senteurs que le guide nous fait découvrir au fil de notre progression. De bouquets de fougères arborescentes se dégagent pandanus, palissandres, larinzagas. Ces derniers sont appréciés par les lémuriens car très riches en glucides. La contemplation de l’indri dans son milieu se mérite car le trajet est pentu et très glissant. D’opportunes racines et des lianes permettent une progression prudente qui est finalement récompensée lorsque nous découvrons toute une famille ; la mère serrant son petit et le père aux aguets, inquiets devant l’arrivée d’autant d’intrus sur leur territoire. Nous voici à nouveau dans nos bus qui roulent sur la RN2 en direction de l’Océan indien. Le paysage a changé. Les flancs des collines portent une végétation éparse de ravenala, une des rares essences à résister aux feux de brousse répétés. C’est une région où il se plait particulièrement. Dans cette partie de l’île il est utilisé pour l’ossature, la couverture et les panneaux muraux des maisons. Les Malgaches ont su tirer partie du moindre de ses organes. A proximité de Manambato les bus quittent la nationale pour la piste qui mène au lac Rasuabè. Le maquis est envahi de grevilleas, une protéacée à jolies fleurs en plumeau qui a été introduite à Madagascar pour aider au reboisement par l’humus qu’elle apporte. Nous déjeunons chez Luigi de crevettes en beignets ou grillées, de ratatouille, d’un poisson capitaine et en dessert d’une avalanche de fruits du cru : papayes, pommes cannelle, mangues, cerises de Zanzibar, … Le cadre est idyllique, une véritable carte postale avec la plage de sable, les cocotiers et le lac pour horizon. C’est précisément sur le lac que nous voguons à présent à bord de trois vedettes. L’une d’elle avance péniblement car elle a été gratifiée à l’arrière des deux poids lourds de l’expédition. Elle a tendance à se cabrer comme un cheval rétif. Sur les autres embarcations les paris sont engagés pour savoir si nous la reverrons. Parvenus à la rive opposée du lac les bateaux s’engagent dans le célèbre canal des Pangalanes. Un nouvel enchantement commence avec une promenade aquatique et végétale entre deux rives couvertes de palmiers d’eau, de mangliers, de pandanus, d’oreilles d’éléphant, … Cette portion du canal est peu fréquentée. A notre étonnement il y a peu de vie animale visible. Ce calme insolite associé à la débauche de verdure a un effet apaisant sur nos organismes. Après une petite heure de navigation nous débarquons à Akanin’ny Nofy. Ce nid de rêves sur la rive du Lac Ampitabe se compose d’un hameau de cases qui nous hébergeront pour deux nuits. Nous sommes accueillis au « Palmarium » par une charmante hôtesse. Mais c’est vers un lémurien vari tout en fourrure épaisse, noire et blanche, que se portent nos regards. Il fait un peu penser au panda. Il nous régale de quelques acrobaties étonnantes avant de disparaître comme un éclair dans les futées environnantes. Cet endroit aurait pu être l’Eden si avant le dîner Marguerite subjuguée par l’agilité de nos sympathiques hôtes n’avait osé à son tour s’élancer vers les ramures. Si la blessure n’avait été autant invalidante je me serais permis de dire que ce n’est pas de son âge de s’envoyer ainsi en l’air. Cependant nous avons eu très peur et Marguerite très mal : un souvenir dont elle se serait bien passé. Jeudi 30 octobre Il est 6 heures, peut-être moins, car Janine, la Belge, a coutume de se tromper d’heure au réveil. A travers la cloison, je l’entends qui s’agite avec sa cothurne Gisèle. Elles m’ont réveillé. Il est vrai que le jour est déjà là, autant en profiter pour aller tâter l’eau du lac. C’est là que je les retrouve toutes les deux avec l’envie de les noyer. Malheureusement il n’y a pas assez de fond. On nous l’avait promis : ils sont au rendez-vous pour le petit déjeuner. Ce sont nos espiègles lémuriens. Il y a plusieurs espèces. La plupart des nouveaux venus sont de taille inférieure à celle du varecia de la veille, mais ils sont aussi malins et rapides pour vous chiper une banane ou un biscuit. Ce n’est qu’un intermède car Sylvain, le maître des lieux nous emmène ensuite dans une longue promenade dans le parc naturel qui jouxte le domaine. Il fait montre d’une expertise poussée dont il nous régale en explications sur la flore et la faune. Sa forêt, car il la fait vraiment sienne par son enthousiasme, étale sa foison de plantes, de champignons, d’insectes, d’araignées, de reptiles. Il nous montre comment on obtient le raphia du palmier du même nom. Il dégage les fibres de la feuille avec son couteau et les déploie avec dextérité. Le raphia a mille utilisations à Madagascar. Plus loin, il nous fait découvrir le trajet sinueux des fourmis arboricoles le long des troncs ou bien imite le cri mélodieux des lémuriens qui s’agitent dans les frondaisons. Ils sont là, nombreux, attachants, facétieux avec leurs yeux ronds qui les rendent comme éberlués. Ils appartiennent à divers groupes et se laissent approcher et même caresser. C’est un régal de les voir évoluer dans leur milieu, de sympathiser avec eux, d’attirer leur regard doux et singulier. L’après-midi, Sylvain et Olivier nous conduisent en bateau sur une autre berge du lac pour voir les népenthes. Ce sont des plantes carnivores dont la fleur, sorte d’urne ventrue secrète un liquide dans lequel les insectes viennent se noyer et sont ensuite digérés. Un crocodile furtif dérangé dans sa sieste se glisse sans bruit dans les eaux herbeuses du marais. Ces lieux paisibles en apparence en n’ont pas moins leurs drames cachés. Sur une autre rive du lac nous visitons un des villages coincés entre le canal des Pangalanes et l’Océan. Un flot de gosses de tout âge se précipite à notre suite quémandant friandises et biscuits sous les regards des parents dont nous ne savons s’ils en approuvent la démarche. L’émotion gagne Sylvain quand accompagné de l’instituteur nous visitons son école. Là, assis à la place qu’il occupait autrefois, il songe malgré son jeune âge au chemin parcouru. Le village d’Andranokodita est desservi par la voie de chemin de fer qui date de l’ancienne colonisation et longe le canal jusqu’à Toamasina. Elle est peu à peu remise en service pour le plus grand avantage des villages riverains dont il rompt l’isolement. Par chance, voilà justement un train. Au-delà, c’est le vaste océan avec sa barre d’écume dans le proche lointain. Le sable a besoin de la mer. Des pirogues y reposent sur le flanc. La pêche est finie. On fume le poisson. Le village entre deux eaux dans l’ombre clairsemée des eucalyptus dont on extrait l’essence dans une distillerie d’un autre temps, vit son rythme ancestral. Pour la soirée Sylvain a mobilisé une troupe amateur de danseuses. Quand on aime cela se voit et Sylvain aime ce qu’il fait ! Il l’a montré tout au long de la journée. S’il ne tenait qu’à lui il serait au milieu des chanteuses. Il s’agite en rythme derrière le comptoir du bar. Le clou du spectacle c’est lui ! Vendredi 31 octobre Départ à 6 heures ; lever à 4h 30. Avant même ! Car notre belge nationale s’est encore fourvoyée avec sa pendule. Elle s'affaire déjà depuis un bon moment dans la chambre voisine. Au petit déjeuner, on publie le bulletin de santé. Mal au dos, entorses, tourista ( la nuit a été très noire pour Jacqueline d’autant qu’elle n’avait pas de lumière, mais blanche pour Serge qui n’a pu dormir). Ajoutons la vilaine plaie de Marguerite et nous ne sommes pas loin d’envisager un bateau sanitaire. Plaisanter donne du courage. C’est le départ. Nous allons remonter les Pangalanes jusqu’à Toamasina. Le temps fuit à travers l’écume du hors-bord que pilote Sylvain. Il n’a pas fini de nous étonner. Il raconte la vie sur les pirogues, les radeaux chargés à ras des flots. Il faut deux à sept jours de trajet selon les conditions et la cargaison. Plusieurs grands lacs sont à franchir à la pagaie ou à la gaffe. Les crocodiles abondent. Nous n’oublierons pas ces routiers des Pangalanes que nous dépassons au ralenti pour éviter qu’ils ne versent tellement ils sont chargés. Des eaux calmes émergent des labyrinthes à poissons, des casiers, des nasses pour les crevettes. Ici, les zébus regardent passer les pirogues. Aux abords des villages des femmes font leur lessive à la cendre, on récure la vaisselle avec le sable en frottant avec les pieds, les gosses se baignent et tout ce petit monde nous salue gentiment. Nous doublons un radeau péniche. La cabine est faite de branchages. La femme est en train de cuisiner à même le plancher. Un court instant d’une vie dans les Pangalanes. La marée est basse. Les bancs de sables se multiplient et obligent à louvoyer sans cesse. L’échouage menace. Il survient. Sans se décourager Sylvain se débarrasse de ses vêtements et se met à l’eau. Il fait pivoter le canot à droite, puis à gauche. Plusieurs fois il est au bord de l’échec, mais il ne donne aucun signe de désespérance. Usant de toutes ses forces il parvient enfin à dégager l’embarcation et à la pousser par saccades vers une passe. Nous flottons à nouveau et cette fois c’est gagné car le port fluvial de Toamasina est en vue. Mora mora, non, il ne s’agit pas de Franck et de Liliane. Mora mora veut dire doucement doucement en malgache. L’expression nous a plu. Elle cache cependant un grand sang froid devant l’adversité. C’est la troisième fois que confrontés à des épreuves qui auraient mis en difficultés bien des nôtres, nous avons vu nos accompagnateurs faire front et enlever l’obstacle. A Toamasina, l’ancienne Tamatave, nous retrouvons Olivier et nos autres compagnons de voyage. Nous quittons Sylvain ; un type remarquable. Le plaisir de la rencontre, le regret de se perdre aux hasards extravagants de la vie… Nous reverrons-nous ? Nous sommes déjà loin. C’est aujourd’hui que Mireille doit s’acquitter d’une mission essentielle : celle de fournir les timbres pour toute la caravane. Pas évident car nous n’avons pas fait dans le détail. Il s’agit de plusieurs centaines. La poste est située sur la longue place de la République, presque déserte. Olivier nous y conduit. L’opération est menée à bien. Ouf ! pour Mireille. Il reste un peu de temps pour quelques emplettes au grand marché. Nous n’allons pas nous en priver. Ensuite le « Bateau ivre » nous attend sur le port pour le repas de midi. Nous reprenons la route. La RN 5 qui conduit à Foulpointe est pleine de nids de poules. La conduite se fait autant sur la droite que sur la gauche. Voilà qui accorderait anglais et français. Elle est bien jolie la plage à Foulpointe avec ses frangipaniers et ses hibiscus aux fleurs si délicates, malheureusement il est déjà tard et demain pour ne pas déroger à l’habitude, nous partons tôt. Samedi 1er novembre Les bus filent vers Soanierano Ivongo où se trouve l’embarcadère pour Sainte Marie. Il convient de ne pas rater le départ du bateau qui assure la navette vers l’île d’autant qu’il y aura des formalités à accomplir avant d’embarquer. Les litchis et les girofliers comptent parmi les ressources importantes de la région. Hélas, un cyclone plus violent que les autres a tout ravagé (il y en a, paraît-il, 4 à 5 par an !). Les girofliers ont particulièrement souffert. Squelettes pitoyables, ils tendent leurs ramures blanches, petites mains décharnées, vers les cieux comme un reproche à leur violence. Un gros travail de recépages est à entreprendre, mais les récoltes devrons attendre. Sainte Marie est une île et comme toutes les îles elle a ses particularités. Pour y débarquer nous devons remplir un formulaire précis et présenter notre passeport. La traversée se présente bien car le temps est clément et le seul piquant sera le franchissement de la barre. Mado n’a pas voulu voir ça, mais je lui ai matérialisé ce moment pour qu’elle ne l’oublie pas. Après presque deux heures de navigation nous débarquons au petit port d’Ambodifotatra, le chef lieu de l’île. On nous promettait pas mal de pluie. Pour le moment, il fait un soleil de plomb. Nous découvrons les lieux où nous allons demeurer trois jours. Une aubaine. Soanambo « L’Arbre à Pain » est un bel ensemble hôtelier avec sa salle de restaurant à l’étage dominant la lagune et les cocotiers. De confortables bungalows s’étalent le long de la plage de sable. Une petite déception nous attend cependant. Il n’y a pas assez de fond pour nager. Dommage l’eau est à 30° C, peut-être même un peu trop chaude pour certains. Mais que j’aime quand le soleil joue à cache-cache au ras de la mer entre deux cocotiers dans une éclaboussure de couleurs ! Dimanche 2 novembre Nous partons à la découverte de l’île avec Augustin, notre guide local. La piste qui va de l’hôtel à Ambodifotatra est bordée par un alignement de cases et de petits négoces qu’interrompent des parcelles de patates douces, de taros et d’arbres à pains. Un peu avant Ambodifotrata le groupe se divise en deux. L’un visitera « l’îlot Madame » et l’autre remontera le sentier qui mène au « Cimetière des pirates ». Une digue relie « l’îlot Madame » à la route. Une série de bâtiments de style colonial et le monument aux soldats français et anglais tués lors de la prise de Toamasina rappellent un temps qui paraît déjà bien lointain. L’île avait servi à l’époque de base arrière aux troupes coloniales des deux pays qui partageaient pour une fois des intérêts communs. A Sainte Marie on a gardé de ce passé quelques souvenirs et on fête chaque année le 14 juillet. On est encore un peu français. Toujours près de la digue, le sentier vers le cimetière suit le rivage au milieu d’une végétation composée de palmiers, de badaniers, d’arbres à pain, d’anacardiers et mille autres essences que Loïc et Augustin, s’attachent à identifier. Une myrtacée odorante, le niaouli dont ont tire une huile essentielle et des lantanas poussent spontanément en bordure des champs de patates douce. En contrebas, blotties au milieu de bosquets de bananiers, girofliers et cocotiers, s’étalent de petites criques qui semblent sorties des rêves les plus fous. Nous parvenons sur le tertre qui domine la côte. Les pierres tombales usées par le vent et les embruns nous projettent soudain aux lisières d’un passé qui berça nos lectures d’enfance. Les esprits des fameux boucaniers terrassés par le scorbut et les fièvres planent autour de nous au doux souffle de l’alizé. Le point de vue est splendide. En face, l’île aux forbans, sorte de cours des miracles marine laisse imaginer le temps où l’on mourrait jeune, mais ayant fort vécu. Une des dalles tombales moussues figure une tête de mort avec une épitaphe qui suggère à lui seul un roman : « A mon ami que j’ai tué ». D’autres sont tout autant suggestives. Il paraît que l’on trouve des racines de mots bretons dans le parler du coin. Il doit bien y avoir aussi quelques gènes celtiques égarés çà et là dans la population. Sur le chemin du retour, sans doute impressionnée par les fantômes qui rodent encore dans ses parages idylliques Janine (celle qui n’est pas belge) fait un faux pas et termine dans le fossé. On craignait une entorse ce ne sera qu’un mauvais coup. Nous avons quand même bien fait d’emmener Monique, notre infirmière patentée qui s’affaire une nouvelle fois autour de la blessée. L’épisode flibuste terminé les bus remontent vers le nord en direction de Maromandia. Nous devons déjeuner à « La Crique ». L’auberge est située au bord de la plage dans un exubérant écrin de verdure piqué de jaune par les fleurs en trompette des allamandas. L’eau transparente inspire la baignade. C’est une opportunité vite saisie. Du repas nous retiendrons les punchs au citron ou à la mangue et l’orgie de camerons qui s’en suivit. Quelques courageux voulant éviter de succomber à la sieste sous les cocotiers se lancent dans l’ascension de la colline surplombant la côte. Eliane, marcheuse invétérée, l’a déjà explorée en arrivant et en a vanté son charme. D’en haut, le coup d’œil est effectivement magique. La nature à peine écorchée laisse imaginer les marins sur la route des Indes débarquant des goélettes à la recherche d’eau et de fruits frais. Ils avancent circonspects sur cette île vierge du bout du monde où plutôt du début du monde où ils viennent d’atterrir. Ils vont se refaire force et courage avant de reprendre leur aventureuse errance. Olivier propose de parcourir le village voisin à pied. Nous acceptons sans arrières pensées et sans prendre garde que promener par plus de 30° à l’ombre, ce n’est pas pareil que faire tranquillement la Promenade des Anglais à Nice. Le soleil tape aussi dru qu’il est haut perché. Il y a des champs de patates douces, de taros, de cannes à sucre. Aujourd’hui, on fête les morts. A Madagascar et ici à Sainte Marie, il existe un surprenant cérémonial ; celui du « retournement ». Après quatre à cinq années de sépulture le défunt est exhumé par les proches parents qui lui offrent un nouveau linceul. Par ce rite on fait passer le mort dans le monde des ancêtres et on installe ainsi son pouvoir protecteur sur la famille. Ces secondes funérailles s’accompagnent de chants et d’un festin où les amis sont conviés. Les tombes sont situées à proximité des habitations et dispersées le long de la route tant et si bien que nous progressons accompagnés par les chants funéraires. La chaleur est accablante et l’ombre est rare. Des mirages de bistrots apparaissent. Enfin, au bout d’une heure ou plus c’est une équipe assoiffée qui s’écroule à la terrasse d’un hôtel. Sauf, l’inépuisable Loïc que nous retrouverons un peu plus loin à la cascade sacrée. Une belle chute sans bobo cette fois ! Le bus fait une ultime halte à un orphelinat tenu par des sœurs auxquelles nous achetons des gousses de vanille. Un petit geste de plus en passant, ça fait du bien. Quand nous arrivons à Soanambo, la piscine est comme hier à 28°, le lagon à 29° et l’air à 30°. Nous nous réfugions sous nos climatiseurs. Dehors, le long de la plage, des femmes récoltent des tellites. A intervalle, une pirogue indolente passe lentement comme si elle voulait suspendre le temps et que la photo soit réussie. Un pêcheur armé d’un harpon ou d’un filet guette un poisson rare ou quelque poulpe. Il semble figé à la manière d’une statue antique. Dans le lointain, l’horizon disparaît dans une coulée d’or et d’écarlate. Ce soir, ceux qui avaient gardé un peu d’appétit après la bombance de camerons à la « Crique » auront droit à la langouste ou pour les plus ambitieux à la trilogie, c’est à dire : gambas, cigale et langouste. J’en connais au moins un qui a craqué, mais pas Catherine. Nadine aurait bien aimé aussi participer au festin, mais elle avait décidé depuis quelques jours de suivre un régime draconien. Dommage. Lundi 3 novembre Ce matin, Olivier et Augustin ont prévu une promenade champêtre sur la colline voisine. La plaine à proximité de l’hôtel est cultivée en champs de patates douces, de manioc, de taros envahis par les mauvaises herbes. Il doit être difficile de les éliminer sous ce climat humide et chaud où tout pousse vite. On laisse beaucoup faire la nature faute de désherbants et pesticides, mais les récoltes doivent en pâtir. La campagne est parsemée d’eaux stagnantes qui se franchissent sur des troncs jetés en travers avec seulement quelques piquets plantés droits, par-ci par-là, pour aider ceux qui ont le pied moins sûr. A considérer l'aménagement je doute que cela puisse suffire. Cela se confirmera… L’habitat est dispersé. Nous croisons les villageois qui vaquent à leur quotidien. Des femmes s’affairent à la vaisselle et au lavage du linge dans les ruisseaux. C’est un peu comme chez nous mis à part que cela se fait ici sans machine et que l’eau est courante naturellement ! En s’élevant sur la colline nous pénétrons dans une végétation plus dense où prospèrent ananas sauvages, girofliers, poivriers, lianes de vanilles et canneliers. Nous faisons sur place quelques emplettes de ces délicieux aromates. Sur le retour, Clara hésite entre passer sur le tronc qui sert de passerelle ou tremper son postérieur dans l’eau de la mare. Jugeant sans doute qu’il fait très chaud elle choisit cette seconde option… A moins qu’elle n’ait glissé. Elle dégouline et je n’ose pas lui demander si elle l’a fait exprès. Mais la journée mouillée ne fait que commencer. Nous allons à présent rejoindre l’île aux Nattes, à l’extrême sud de Sainte Marie. Mireille a pensé que se serait mieux d’y aller coiffée avec de fines tresses. C’est une excellente idée et c’est très réussi. J’aimerais bien l’imiter… L’origine du nom de l’île est incertaine. Il pourrait provenir des arbres Nato qui poussaient jadis en abondance et qui servaient à faire des pirogues. Selon une autre éventualité l’appellation proviendrait des nattes fabriquées à partir des pandanus. Une navigation en pirogue est toujours un agréable moment quand la mer est calme ; ce qui est le cas. Une fois à terre nous remontons vers le phare qui domine l’île. Olivier a prévu de nous faire visiter un orphelinat. C’est simple. Il n’y a qu’une route. Elle passe devant l’école et l’église qui se trouvent côte à côte comme sur de nombreuses îles tropicales. Elle dessert ensuite le village d’Aniribe, très ravissant avec ses cases et ces petits commerces. L’orphelinat est sur le haut de l’île. Lorsque nous nous présentons les petits sortent un à un pour nous saluer. Il y a 24 gamins et trois personnes dont la directrice pour s’en occuper. Ils sont bien habillés, propres et obéissants. On les scolarise jusqu’à 7 ans. Après la présentation, nous distribuons des vêtements, des fournitures scolaires et des gâteaux. L'assistante qui nous a accueillis en l’absence de la directrice est touchée par ce réconfort tombée du ciel et les enfants nous remercient par des chants. Encore pénétrés de cette touchante humilité nous continuons sereins notre promenade vers le phare. Le soleil voilé rend la chaleur moins crue. Du sommet de l’île la vue s’étend d’un côté vers Sainte Marie et de l’autre vers la côte lointaine et l’île aux sables. Il s’agit plutôt d’un banc émergé sans végétation qui se dégage surtout à marée basse au-delà de la barre corallienne. L’heure du repas est déjà bien dépassée quand nous rejoignons le restaurant Napoléon. Une table a été dressée en plein air sous les palmiers et les cocotiers. Avec les apéritifs et les toasts l’ambiance est vite là. Nous trinquons volontiers plusieurs fois à l’intention de ceux qui n’ont pu être du voyage. Mireille qui n’a pu une fois encore résister à la trempette décortique les oursins qu’elle a récoltés pendant que nous dégustons les excellentes brochettes de poissons. Tout serait pour le mieux si une première averse tropicale annonciatrice de la suite ne venait troubler le festin. Nous nous précipitons à l’intérieur pour apprécier les crêpes du dessert. La pluie a cessé. Nous tentons une sortie. En fait, ce n’est qu’une brève accalmie. La pluie nous surprend sur le retour au débarcadère pour certains, sur le bateau pour les autres. Mais dans les deux cas la retraite est fortement arrosée. Serge D. que l’on a oublié sur la berge rentre par ses propres moyens, mais pas plus trempé que ses partenaires car cela n’est pas possible vu l’état d’imbibition général. Il faudra deux jours pour se sécher. Mardi 4 novembre C’est notre dernier jour à Sainte Marie. En début d’après-midi nous gagnons l’aéroport à l’extrémité de l’île, là où s’est déroulée notre suintante déroute de la veille. L’avion, un ATR, est à l’heure et moins d’une heure après nous atterrissons à Antananarivo. Olivier s’occupe de récupérer les valises et de les répartir dans les bus pour le Triomphe ou pour l’hôtel Tana Plaza. Avant de nous séparer nous faisons ensemble un tour au marché artisanal. Difficile d’échapper aux boniments accrocheurs des vendeurs. Les petites baraques en bois et tôles regorgent de vanneries, de bois sculptés en palissandre ou rose, de pierres taillées en sphère ou en œuf, de bois minéralisés, d’ammonites et oursins fossiles, de meubles, de vieux outils ou ustensiles anciens, les seuls à avoir vraiment une touche d’authenticité, mais qu’il n’est pas forcément facile de faire voyager. Soudain le vent tempétueux se lève. Il précède un nuage inquiétant et irritant de sable et de poussière. En moins de temps qu’il ne m’ait fallu pour l’écrire les marchants ont bouclé leur boutique. La bourrasque s’approche à toute vitesse et c’est le sauve qui peut vers les bus. Le déluge survient peu après. C’est une opportunité pour aller faire des courses dans un super marché. Celui où nous pénétrons est parfaitement achalandé ; on y trouve toutes les eaux françaises en bouteilles. Serge parvient à marchander une « Eau vive » à la caisse pour 700 ariarys, un record qui ne sera plus battu. La journée s’achève doucement. Nous rentrons. Sur les hauteurs, le palais du Rova domine la ville ; il est en complète réfection. Le lac Anosy dans son berceau de jacarandas et ses hérons garde-bœufs cherchant leur pitance, a conservé son environnement. En quelques années ces lieux nous sont devenus familiers. Voici l’Avenue de l’Indépendance avec à son extrémité la gare et l’hôtel Tana Plaza qui nous hébergera pour la dernière nuit. Mercredi 5 novembre La matinée libre à Antananarivo est l’occasion de faire à pied de petits tours en ville. La rue s’anime dès 5 heures du matin ; il fait jour très tôt ici. L’atmosphère de la capitale est bien différente de ce que nous avons vécu jusque là. Les gens sont affairés. Mille petits métiers occupent la rue. Un simple parasol et un escabeau pour s’asseoir et voilà une boutique créée. Ici, c’est un détaillant d’appels téléphoniques (l’équivalant de nos cabines). Un panneau affiche 200 ariarys l’appel. Une marchande de graines grillées avec deux marmots à ses pieds est en discussion avec un colporteur de fruits exhibant des tranches de melon dans des sacs en plastique. Ils baignent dans de ce que je pense être de l’eau avec des glaçons. Devant la gare un cuisinier a installé une sorte de snack à même le trottoir. Il a ses habitués et il s’active sous un soleil qui devient de plus en plus présent. Il y a aussi cet incroyable vendeur d’antennes de télévision qui se tient debout au bord du trottoir avec son bouquet de mâts. Sous les arcades de l’Avenue de l’Indépendance les éventaires se densifient, on étale sur le sol prises, fils électriques, radios, amplis… Il y a aussi un secteur de réparateurs de voitures en libre concurrence. Leurs services sont affichés, mais bien que cela soit écrit en français, je ne comprends pas toujours ce qu’ils proposent. A l’ombre d’un parasol une vendeuse offre des glaces, des beignets, des gâteaux à la crème. Elle a tout ce qu’il faut pour procurer au touriste imprudent un inoubliable souvenir. D’ailleurs un W.C. public est à proximité. Il y a deux portes ; sur l’une on peut lire que c’est pour « Pipi » et sur l’autre pour « Kaka ». La rue qui s’engage à gauche de la gare, juste après l’hôtel, passe par le marché municipal à petite vitesse, c’est à dire de détail. Il faut se frayer le passage dans la foule compacte. Un vrai bazar où l’on trouve chaussures, quincaillerie, électroménager, fruits, légumes, tableaux, estampes où se côtoient sur le même étalage des images pieuses et des effigies de pin-up. Les voitures et les motos progressent au ralenti au milieu de cette foule colorée, le tout dans un bruit effarant et un air saturé de gaz d’échappement. Mais cet après-midi nous avons un rendez-vous capital. Pour que la séparation soit moins cruelle Eliezera a prévu une kyrielle de festivités au « Triomphe ». Le second bus ramène des parrains et marraines qui ont déjeuné en ville ce midi avec leurs filleuls. Le trajet fait un détour par la ville haute. En haut de la colline, un premier belvédère étend la vue vers l’est et le lac Ranomafana. En poursuivant la route qui longe le Rova, il s’en trouve un second d’où l’on domine vers l’ouest le cœur de la ville avec le lac Anosy et son auréole mauve de jacarandas. Ce sont nos derniers regards d’amoureux envers cette attachante cité. Toute notre joyeuse compagnie se retrouve maintenant au « Triomphe » où une haie d’honneur formée par d’adorables adolescentes élégamment vêtues en blanc nous dirige vers la grande salle. Depuis notre dernier passage, cette salle a été bien rénovée. Une scène est installée. Nos artistes sont en place. Le show peut commencer. Tour à tour petits et grands régalent les spectateurs séduits que nous sommes de leurs chants et de leurs danses. Il y a un immense plaisir à voir cette jeunesse pleine de vie et de sourires, tournoyer, bondir, fraterniser dans le mouvement. Ils forment avec les assistantes fidèles et complices une grande famille, certes nombreuse, mais surtout attachante. Et nous marraines et parrains venus de l’autre monde sommes là pour confirmer que cela est bien, que la réalité est parfois belle et qu’il est souvent possible de contrer l’adversité pour avancer vers le progrès et le bonheur. Avec beaucoup d’amour on peut être heureux en orphelinat. C’est la grande leçon que nous retiendrons à notre retour. Il est des anniversaires qui tombent à pic. La famille du « Triomphe » a préparé un énorme gâteau pour Papa Dupond. Il le fallait bien gros ce gâteau pour rassasier toutes ses gorges de moineaux. On boit à la santé du « Triomphe », à Eliezera et à Danièle qui chacune avec leur énergie, leurs moyens respectifs et surtout leur âme veillent telles des mères inquiètes sur ce merveilleux berceau. Alors, entraînés par le souffle qui émane de cette entraînante jeunesse, parrains et marraines drapés dans des paréos colorés entament avec elle une joyeuse sarabande. Cette fois encore il faut se quitter. Avec le traditionnel hymne à l’« au revoir » arrivent les déchirants sanglots, les pleurs contenus, les regards inconsolables. Comment ont-ils pu être si gais nos chérubins sachant qu’ils allaient être si tristes ! On glisse discrètement dans la main qui se tend un cœur, une petite phrase tendre que l’on a eu du mal à écrire en français. On confond marraine et maman. Il est des mots qui dans le délire de l’affection deviennent à cet instant synonymes. Nous nous éloignons. Le bus nous enlève : A bientôt nos chéris.
Etaient du voyage : Eliane Alsat, Jacqueline Aublet et Serge Darago, Clara Beck, Loïc Cardin, Janine Chave, Janine et Tony Dalmasso , Mireille Delrieu, Marguerite Derrien, Danièle et Michel Dupont, Catherine et Yann Jaguin, Jeannette Le Scourzic, Liliane et Franck Mora, Françoise et Serge Quartiano, Rolande et Alain Poupet, Monique Rebaudo, Madeleine Siegel, Gisèle Strassner, Nadine Vely.
Tony Biot le 1e décembre 2008
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